La rentrée littéraire, vue par Benjamin Berton (sur Fluctuat.net)

Publié le par LASCAVIA (Josy Malet-Praud)

Décidément, parmi tous les chroniqueurs de talent qui alimentent l'excellent site www.fluctuat.net, Benjamin BERTON reste mon chouchou. Ci-dessous un extrait de sa dernière intervention ayant pour thème - La rentrée littéraire- (vous trouverez l'intégralité du texte sur le site Source, Fluctuat.net).

En prime, à la suite, l'intégralité d'une contribution antérieure sur le même thème, publiée aussi par Benjamin Berton sur le même site. Je n'ai pas retrouvé la trace de ce texte -in situ-, si bien que ne pouvant établir un lien, je me permets de -repiquer- l'intégralité de ce petit bijou... Bonne lecture...

 

 

La rentrée littéraire est rude : personne ne veut manquer le livre qui va exploser ou devenir le petit chouchou du moment. On spécule. On fait circuler des rumeurs. On se prend un peu pour le nombril culturel du monde. Pour avoir l'air cool en cette période (ce qui est indispensable), il y a quelques trucs à savoir - et à appliquer : en voici 10.

1. Dire du mal d'un roman très attendu

Cette année, faites comme Tahar Ben Jelloun (ok, il est juré Goncourt) et dites que La Carte et le Territoire de Houellebecq est pourri. Ça vous donne une contenance et ça laisse entendre que vous l’avez déjà lu, même si vous refusez d’en parler avant sa sortie. "Houellebecq (air pincé), ce n’est pas un grand cru. Mais c’est intéressant." Observez la réaction dans l’œil de votre interlocuteur. Il sait désormais que vous êtes un initié. Ne vous ridiculisez pas à faire la même chose avec des écrivains obscurs comme Nothomb ou Forest, voire même Despentes. Celui qu’il faut dénigrer cette année, c’est MH et personne d’autre.

 

2. Se plaindre du nombre de romans publiés chaque année

Degré zéro du cool mais tout le monde le fait et c’est un must pour qui travaille dans l’industrie du livre. Trop de livres, 90% qui ne mériteraient pas d’être publiés. Avancez des chiffres très précis, on vous donne ceux de Livres Hebdo : 701 romans (n’oubliez pas le « 1 ») en 2010 contre 659 l’année ("ils ont osé faire plus"). 13 titres tirés à plus de 50.000 exemplaires. Ça en fait du papier mâché. Et puis ce piston et ces fils de qui écrivent, c’est vraiment n’importe quoi. L’affaire Woerth à côté de ce qui se passe dans le milieu du livre, ce n’est rien. Si vous voulez vraiment briller, prétendez que les grandes maisons d’édition lancent les livres sans les soutenir par facilité et croient en la sélection naturelle par le gadin. La technique a un nom anglais et un équivalent "le plouf ça coule". Quand ça flotte, c’est que le livre a marché.

 

3. Mettre en avant un vieux roman qui ne fait pas partie de la rentrée

Trouvez-vous un vieux livre, un truc décalé et hors du temps et présentez-le à vos amis en disant : "moi, je lis ça" (insistez sur le "moi"), autrement dit, "la rentrée, je ne mange pas de ce pain. Je suis au-dessus de tout ça". Détachement, cool attitude, goûts obscurs. Cela renforcera votre sex appeal. Le must, pour vraiment avoir l’air encore plus au-dessus, c’est même de sortir un livre en VO. Les Exploits d’Engelbrecht de Maurice Richardson passera très bien. Vous pouvez aussi taper dans l’épuisé : prétendez avoir déniché tout John Boyd et préférer ne rien commencer d’autre avant d’en avoir fini avec lui.

 LA SUITE : ICI link

 

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L’IVRESSE DE LA RENTREE CHEZ L’ECRIVAIN MOYEN

– 10 TRUCS POUR SURVIVRE A LA RENTREE LITTERAIRE –

 Par Benjamin BERTON (sur FLUCTUAT.NET)

 

Pour nous autres lecteurs, la rentrée littéraire est surtout l'occasion de se faire des petites provisions de lecture qui rendront l'automne moins cafardeux. Pour les écrivains, elle correspond à un moment bien plus sacré...


La
rentrée littéraire est un moment littéraire (!), commercial, un instant économique, marketing, médiatique, etc... Mais aussi et souvent un moment d'émotion pour les éditeurs, les lecteurs et surtout les écrivains. On l'oublie souvent mais dans la grand' valse des titres orchestrée par les grandes et petites maisons d'édition, de jeunes et moins jeunes plumitifs, pluminables et plumes d'or aiment, espèrent, souffrent et rêvent encore de décrocher le Graal littéraire (la reconnaissance critique), le Jackpot Société Générale (le prix, la vente, les pépettes) ou le Gros Lot (l'amour).
L'écriture donne le livre qui donne l'écrivain qui donne un objet encore plus étrange : la vie de l'écrivain, son intimité. Certains en font commerce, d'autres la vivent mais toutes ces existences sont modifiées de manière significative par l'ivresse de la rentrée. Voilà pourquoi en 10 points, les écrivains aiment les rentrées littéraires encore plus que les rentrées littéraires n'aiment les écrivains :

1. C'est le seul moment où on échappe à la sempiternelle question : "il sort quand ton prochain livre ?". C'est évidemment l'attrait principal d'une rentrée. L'écrivain sort de l'ombre et de l'oubli. Il signale son existence, met fin à une période d'apnée littéraire qui, en littérature comme en musique, s'apparente à une mort pour le monde.

2. Quelques jours avant la sortie, l'écrivain se dit que cette fois-ci, l'heure du succès a sonné, qu'il va devenir riche, aimé par des légions d'inconnus (des femmes, des mannequins, des jeunes, des mûres, des hommes, des profs de lettres, des étudiantes nymphomanes, des littéraires,...) et que tous ses problèmes s'évanouiront. Ce livre est son meilleur : bon style, intrigue serrée, pas de longueurs, des personnages hauts en couleur, des instants d'émotion, des résonances avec l'actualité, un ton contemporain, des enjeux plus gros que lui, pas de Houellebecq ou de Beigbeder en vue cette année. Le champ libre est pour la gloire. Shakespeare, chaud devant !

3. L'écrivain est soulagé de se débarrasser enfin d'un texte qui lui a causé tant de peine, de nuits blanches et de soucis. Après quelques mois ou années passées ensemble, nos propres histoires nous fatiguent, nous dégoûtent. Le livre est bouclé, encapsulé pour l'éternité/l'oubli éternel : bon débarras ! La rentrée littéraire, c'est une aventure douloureuse qui s'achève, un fantôme qu'on enterre (voir Régis Jauffret de cette année), un boulet qu'on détache de sa cheville gauche, etc.

4. L'écrivain est content d'être assis dans des salons du livre qui ressemblent à des foires expo à côté de types qu'il admire ou qu'il déteste. "Chouette, je suis plus grand que Martin Amis ! Plus beau que William Vollmann." C'est pas difficile. Le Salon du livre c'est l'égalité littéraire : à quelques exceptions près, il n'y a pas de différence de statut entre un auteur star et une plume de second ordre. Les organisateurs de salons bossent avec les maisons d'édition et pas avec les auteurs : ils veulent un gros Gallimard, un gros Seuil, deux gros Fayard et des écrivains pour la garniture. Un bon salon, c'est comme un bon festival rock : des têtes d'affiche et de la salade verte dont tout le monde se fout. Il n'y a pas de place pour la découverte.

5. Les Salons du livre, c'est de bons hôtels, de la bouffe qui se tient, un Tour de France à l'oeil et une succession d'étapes VIP qui agissent comme une drogue : on déteste ça quand on y est, c'est long, pénible mais ça manque quand on y est pas allé depuis longtemps. Souvent, la picole est gratuite et les petits fours au poil. Il faut parfois (si on y tient) se fader le discours d'ouverture du maire mais dans l'ensemble (le politique accuse un complexe vis-à-vis du littéraire et culpabilise rien qu'à lire son discours), c'est bien moins terrible qu'un départ en retraite au boulot.

6. Rien ne remplace la joie de voir (pendant quelques semaines seulement) 2 exemplaires de son livre dans une librairie... de Ploermel ou une maison de la presse des Hautes-Pyrénées. On rentre et on jette un oeil : le livre n'y est pas. "Ma carrière littéraire est de nouveau sabordée par ces connards de la distribution. Pourquoi il n'y a que deux exemplaires de mon livre en rayons, alors qu'il y a une table entière d'Amélie Nothomb. Pourquoi Angot a droit au relais H et pas Denis Johnson ?" La jouissance de l'écrivain devant son propre travail en exposition n'a pas d'équivalent connu. L'écrivain n'a pas de visage. Il peut fureter et jouir de sa propre célébrité anonyme, dans la mesure où le point 7 le lui permet.

7. La rentrée rend humble et mégalo à la fois. Elle ramène à la petitesse de l'écrivain. Ils étaient 343, ils sont rentrés bredouilles. Une table de rentrée, c'est l'apprentissage de la modestie : on ne se trouve pas, on ne se trouve plus. Être publié, c'est aujourd'hui comme faire du jogging. N'importe qui y a droit ou presque. Il fut un temps où on avait vraiment la classe d'aller courir 20 minutes dans le bois de Vincennes avec des Nastase. Aujourd'hui, on se sent tout petit et perdu dans l'immensité. L'écrivain a cette sensation : faire partie des happy few qui écrivent mais qui sont condamnés à devenir des sad plenty.

8. On partage l'affiche avec des ploucs et ça fait plaisir. Dans la jungle littéraire, certains ont moins d'atouts que d'autres. Comme l'espace littéraire est partiellement un espace darwinien inversé (les plus mauvais/roublards s'enrichissent ? pas tout le temps) et une jungle libérale (chacun pour sa pomme), on peut prendre plaisir à regarder les gens du dessous : les écrivains régionaux, les écrivains auto-publiés, les auteurs de poésie obscure, les mecs des fanzines et des revues moches. Écrire suscite la bonté. Publier la méchanceté. La rentrée littéraire, c'est le moment où l'écrivain se situe dans l'échelle olympique. Comme des J.O, mais avec des règles que personne ne connaît.

9. La rentrée, c'est le moment des papiers, des interviews et des passages télé. Celui qui sort un livre en janvier ou en mars a 12 fois plus de chance de bénéficier d'une couverture médiatique en valeur absolue (le temps consacré au livre, l'espace télévisuel est multiplié pendant la période), 3 fois moins en réalité (si on rapporte le x 12 au x 36 des publications - je vous laisse faire le calcul), mais on y croit très fort. L'écrivain compte moins que n'importe quel présentateur météo. Voilà sa chance de montrer à sa grand-mère qu'il peut passer à la télé, même si c'est devant Guillaume Durand, à 1 heure du matin et après un débat politique auquel il n'a rien compris. Avec un bon magnétoscope, on peut se repasser la Bérézina à une heure décente. Voir le point 2.

10. La rentrée, ça revient tous les ans. On peut jouer à Amélie Nothomb ou Woody Allen (1 livre/film par an) ou se faire rare comme un Pynchon (dans l'eau) mais la rentrée repasse les plats tous les ans, avec sa caravane (Nancy-Brive-Saint Etienne-Bordeaux), ses trains, ses engouements, comme un Tour de France idiot (il l'est) qui ne connaîtrait d'autre dopage que des hypes de premier romancier. Le livre 2, le livre 3, le livre 4, tout le monde s'en tamponne. Il n'y a que la première fois qui compte, c'est bien connu. Après ça, soit vous devenez une marque, soit vous devenez un produit.

Bonne rentrée littéraire !

 

 

Publié dans Textes divers

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M
<br /> <br /> Ce Benjamin Berton a le chic pour faire mouche ! Ce que c'est drôle !<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> ..De l'humour qui décoiffe, c'est savoureux, oui ! <br /> <br /> <br /> <br />